Jusqu'à ce jour, je n'ai jamais parlé de mes deux garçons. Pourquoi ? J'avais honte ? Peur qu'on me plaigne ?
Tout cela un peu mélangé. Je crois, surtout, que c'était pour échapper à la question terrible : « Qu'est-ce qu'ils font ? »
Aujourd'hui que le temps presse, que la fin du monde est proche et que je suis de plus en plus biodégradable, j'ai décidé de leur écrire un livre.
Pour qu'on ne les oublie pas, qu'il ne reste pas d'eux seulement une photo sur une carte d'invalidité. Peut-être pour dire mes remords. Je n'ai pas été un très bon père. Souvent, je ne les supportais pas. Avec eux, il fallait une patience d'ange, et je ne suis pas un ange.
Quand on parle des enfants handicapés, on prend un air de circonstance, comme quand on parle d une catastrophe. Pour une fois, je voudrais essayer de parler d'eux avec le sourire. Ils m'ont fait rire avec leurs bêtises, et pas toujours involontairement.
Grâce à eux, j'ai eu des avantages sur les parents d enfants normaux. Je n'ai pas eu de soucis avec leurs études ni leur orientation professionnelle. Nous n'avons pas eu à hésiter entre filière scientifique et filière littéraire. Pas eu à nous inquiéter de savoir ce qu'ils feraient plus tard, on a su rapidement ce que ce serait : rien.
Et surtout, pendant de nombreuses années, j'ai bénéficié d'une vignette automobile gratuite. Grâce à eux, j'ai pu rouler dans des grosses voitures américaines.
Si ma maman n'était pas venue à la bibliothèque avec moi, je ne pense pas que j'aurais emprunté ce livre. Et je serais passée à côté de quelque chose !
Où on va, papa ? est tout sauf un livre conventionnel. Je ne doute pas que certains seront dérangés par les propos de son père qui rit (gentiment) de l'handicap de ses enfants. Dit comme ça, ça à l'air terrible. Mais en fait, non. Jean-Louis Fournier le dit lui-même : on est trop sérieux avec les enfants handicapés, mais eux, ils ont aussi besoin d'entendre leurs proches rire...
Jean-Louis Fournier est très cynique dans Où on va, papa ?, un peu moqueur. L'humour est noir, mais je ne doute pas que ça lui fait du bien. Et ça permet aussi aux lecteurs de voir ça de façon différente : on est pas habitué à entendre ce genre de propos sur les handicapés, mais pourtant je ne doute pas qu'à la place de l'auteur, on penserait exactement la même chose. C'est ça que j'apprécie dans ce livre, c'est que c'est sincère et non hypocrite. Et pourtant, si il y a quelque chose dont on ne doute pas, c'est de l'amour de ce père pour ses enfants.
J'ai du mal à concevoir qu'on puisse rester insensible devant Où on va, papa ?. Mathieu et Thomas on beau être très attachant, ils restent différents, ils ne seront jamais comme les autres... J'ai été particulièrement émue quand j'ai découvert que Thomas ne reconnaissait pas toujours son père quand il va le voir à l'institut. Ou que Marie, la petite soeur, s'entendait dire dans les cours de récréation "arrêtes de te vanter" quand elle racontait que ses deux grands frères étaient handicapés...
Jean-Louis Fournier nous met face à la réalité des enfants handicapés, et elle est loin d'être rose. J'ai découvert des tas de petits détails auxquels je n'aurais pas pensé vu de l'extérieur...
Et puis j'ai beaucoup aimé découvrir de temps en temps Josée au fil des pages.
A lire pour avoir une vision différente de l'handicap inné.