Les Ailes collées
Sophie DE BAERE
Audiolib - 2022
7h12
Suis-je passé à côté de ma vie ? C'est la question qui éclabousse Paul lorsque, le jour de son mariage, il retrouve Joseph, un ami perdu de vue depuis vingt ans. Et c'est l'été 1983 qui ressurgit soudain. Celui des débuts flamboyants et des premiers renoncements. Avant que la violence des autres fonde sur lui et bouleverse à jamais son existence et celle des siens.
J'étais assez méfiante au moment de me lancer dans ce roman. Il faut dire aussi que le résumé ne disait pas grand chose sur l'histoire que je m'apprêtais à découvrir (en soit, ce n'est pas bien grave : ce n'est que depuis que je me suis mise à lire des livres numériques que je lis le résumé avant de me lancer dans un livre… Vu qu'ils y sont souvent glissés à la deuxième page !) mais , surtout, que j'associe les couvertures unies jaune coquille aux lectures un peu intello des concours littéraires. Perso', j'ai une préférence aux lectures légères plutôt que prise de tête (clairement, au cinéma, c'est totalement l'inverse !). En plus, je venais de vider mon forfait 4G en essayant de télécharger ce livre ainsi qu'un autre sans succès en prévoyance des 6H de route qui m'attendais le jour-même pour rentrer de mes congés. Cela dit, heureusement que Timothée a un forfait internet totalement indécent ce qui m'a permis de télécharger celui-ci (le partage de connexion, c'est le feu ! - comme dirait ce dernier) : visiblement, le manque de place sur mon téléphone a été suffisant pour que cela n'aboutisse pas avec l'autre bouquin (mais c'est réglé depuis). Bref, tout ça pour dire qu'en lançant la lecture, je ne savais pas du tout à quelle sauce j'allais être mangée et que je n'étais pas franchement à l'aise.
Pour le coup la surprise a été bonne. J'aime beaucoup les histoires qui grandissent avec les personnages et c'est totalement le cas pour celle-ci où l'on suit Paul de sa tendre enfance dans les années 70' à ses 35-40 ans. J'ai aimé le fait que l'auteure alterne sans cesse les époques tout en respectant une certaine chronologie : d'un côté, son mariage avec Anna et les années qui s'en suivent ; de l'autre, les bancs de l'école et ses études supérieures. J'ai aimé la manière dont les deux époques se répondent, nous permettant de deviner certains évènements à venir et de comprendre, avec plus de recul, certains mystères.
Même si cela apparaît dans le résumé, je n'avais pas compris que ce roman traitait de l'homosexualité. C'est un des sujets auxquels je suis particulièrement sensible. J'ai eu la chance d'aller dans un lycée très ouvert d'esprit où beaucoup de jeunes se sentaient libres d'aimer et de s'afficher avec une personne du même sexe, sans jugement des camarades de classe. Ce que Paul et Joseph subissent à l'école m'a donc profondément choquée. Je ne doute pas que cela se passait comme ça à l'époque ou que cela puisse être encore le cas dans certaines communautés mais, clairement, c'est tellement éloigné des messages avec lesquels j'ai grandi que ça me paraît dingue de subir autant de sévices - notamment sexuels - pour oser aimer quelqu'un. D'un autre côté, c'est difficile d'être étonné quand on voit comment un coming out peut être reçu dans le cadre familial par les personnes les plus âgées ou celles estimant avoir une image familiale à préserver. #çasentlevécu
Dans l'histoire entre Joseph et Paul, j'ai aimé le fait que Paul soit amoureux de Joseph parce que c'est Joseph. Je ne sais plus quel est le terme mais, au fond, je ne pense pas qu'il soit réellement gay. J'allais dire que c'est d'autant plus terrible qu'il subisse tout ça pour quelque chose qu'il n'est pas mais ce serait injuste pour ceux qui souffrent d'actes homophobes : personne n'a à subir ça. Bref, tout ça m'a rappelé Le Bleu est une couleur chaude (qui a inspiré le film La Vie d'Adèle mais la BD est 10000 fois mieux - sans exagérer) où l'héroïne est un peu dans la même configuration : non attirée par un genre mais sous le charme d'une personne. Je trouve que, du coup, ça a vraiment un côté "ça peut arriver à tout le monde" et rappelle que l'amour ne se commande pas.
Tout le roman est empli d'une certaine tristesse et de nostalgie, le rendant assez difficile à écouter par moment. Du coup, je suis passée par beaucoup d'émotions : de la révolte face à l'homophobie, au soulagement en voyant l'apaisement de Paul lors de sa rencontre avec Anna; à l'inquiétude de revoir Joseph et à la colère face à ces deux relations qui rentrent en collision. J'ai également compris l'agacement de Cécile, la sœur, face aux plaintes incessantes de Paul ainsi qu'à son refus d'avancer dans la vie. Et, bien évidemment, j'ai été triste face aux deuils que doit faire Paul. Il n'y a pas à dire, cette histoire est vraiment poignante tant elle est sombre et que Paul subit tout, sans réellement prendre part à sa vie. Pour le coup, c'est assez rageant.
Même si j'ai eu une certaine sympathie pour Paul, sa manière de passer à côté de sa vie m'a assez déçue. Je crois qu'il essaye d'être quelqu'un qu'il n'est pas et que ça lui dessert plus qu'autre chose. C'est assez difficile de se mettre à sa place, tant par les horreurs qui a subit plus jeune que par sa passivité.
Joseph m'a davantage plu. Pour le coup, même s'il ne fait pas toujours les bons choix, il prend sa vie en main. J'ai aimé sa fragilité assumée à travers les âges.
J'ai également apprécié découvrir la famille de Paul et ses fêlures. Malgré ses défauts, j'ai trouvé sa maman très touchante et à l'écoute. J'ai également apprécié la droiture de Cécile même si elle lui fait perdre en sympathie au fil du temps. Pour le coup, elle a le mérite de savoir replacer l'église au centre du village.
J'ai trouvé l'écriture de Sophie DE BAERE agréable. J'ai aimé son rythme lancinant et mélancolique ainsi que sa manière de ne pas tourner en drama ce qu'il se passe dans ce livre : ce détachement est finalement assez positif puisqu'il permet de garder une certaine distance et donc de se protéger contre les atrocités décrites.
De même, j'ai apprécié la narration du lecteur du livre audio tout en douceur et en calme. J'ai aimé son ton presque monocorde qui donne de la douceur à ces phrases parfois difficiles.
Une histoire prenante.
[les +] Surprenant, intemporel, différent.
[les -] Un Paul assez frustrant.
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