Quand la nuit devient jour
Sophie JOMAIN
France Loisirs - 2017
240 pages
On m'a demandé un jour de définir ma douleur. Je sais dire ce que je ressens lorsque je m'enfonce une épine dans le pied, décrire l'échauffement d'une brûlure, parler des nœuds dans mon estomac quand j'ai trop mangé, de l'élancement lancinant d'une carie, mais je suis incapable d'expliquer ce qui me ronge de l'intérieur et qui me fait mal au-delà de toute souffrance que je connais déjà.
La dépression. Ma faiblesse.
Le combat que je mène contre moi-même est sans fin, et personne n'est en mesure de m'aider. Dieu, la science, la médecine, même l'amour des miens a échoué. Ils m'ont perdue. Sans doute depuis le début.
J'ai vingt-neuf ans, je m'appelle Camille, je suis franco-belge, et je vais mourir dans trois mois. Le 6 avril 2016. Par euthanasie volontaire assistée.
J'étais très curieuse de découvrir ce livre de Sophie Jomain puisqu'il semblait extrêmement différent des histoires qu'elle avait écrit jusqu'à présent. De l'univers léger et amusant, on passe à la lourdeur de la dépression et de l'envie de mourir.
Tout de suite, j'ai été plongée dans l'univers de Camille : la force des émotions fait qu'il est difficile de lire ce qui est écrit mais aussi qu'il est difficile de s'en détacher... C'est compliqué de ne pas vouloir s'investir pour "aider" Camille a aller mieux, alors que, finalement, c'est tout le contraire qu'elle souhaite. C'est un peu le "lâcher-prise" que l'on apprend avec cette lecture, et ce n'est pas facile.
J'ai des amis qui sont passés par ce que vit Camille : j'ai été dans un excellent lycée fréquenté par bon nombre d'élèves destinés à faire de grandes choses. Ils avaient leur chemin tout tracé, la voie royale leur était ouverte : bac avec les félicitations du jury, classe préparatoire, école supérieure du top 10'... Et finalement, une fois qu'ils sont arrivés au job' que l'on avait promis pendant toute leur enfance, ils se rendaient compte qu'ils n'avaient jamais vraiment vécus leur vie et qu'aujourd'hui, ils ne faisaient pas quelque chose qu'ils avaient envie de faire. Plusieurs sont allés élever des chèvres dans le Vercors sans eau ni électricité, d'autres ont laissé leurs idées noires les envahir et on tenté (voir réussi) de mettre fin à leurs jours... Je suis optimisme et je dois dire que j'avais du mal à comprendre qu'on ne puisse pas imaginer aller mieux un jour, au point de vouloir tout en finir. J'ai grandi, aussi, entre-temps mais l'histoire de Camille m'a permis de voir assez différemment les choses et, peut-être, de les comprendre un peu mieux.
J'ai trouvé l'histoire vraiment très belle et pleine d'espoir même si la fin ne l'est pas forcément. Quand j'ai raconté le livre à ma maman et la petite sœur, elles se sont exclamées d'une même voix : "Ah, mais c'est comme dans After you [Jojo Moyes] !" - que je n'ai pas lu mais bien envie de lire du coup.
Ça fait maintenant une semaine que j'ai terminé le bouquin et, clairement, mon avis aurait été beaucoup plus positif si j'avais terminé de l'écrire samedi dernier... Entre-temps, je me suis posée des questions et notamment celle de savoir pour qui ce livre est destiné. Au vu de la fin, j'ai l'impression que ce livre est davantage fait pour rassurer les proches de personnes en dépression que pour les personnes en dépression elle-même. Mais, au vu de mes amis de lycée, je ne pense pas que ce livre reflète la vérité. L'espoir existe, oui, mais faire changer d'avis quelqu'un qui est déterminé à en finir est utopique.
Cela dit, j'ai beaucoup aimé les moments passés avec Camille et le Docteur Peeters. On les voit évoluer tous les deux et ça fait un bien fou parce que du coup, on garde espoir sur la suite. Sans pour autant réellement y croire. Les dernières lignes sont étonnantes ;)
J'ai aimé que l'on aborde le sujet de l'euthanasie dans un livre : c'est un sujet tellement tabou qui ne devrait pas l'être... Je crois vraiment que c'était la première fois que je lisais quelque chose à ce sujet. J'ai eu des cours d'éthique là-dessus pendant mes années en fac' de médecine, mais rien n'existant en France à cette époque, on n'en avait pas abordé les démarches. Du coup, c'est assez intéressant d'en apprendre plus sur la manière dont sont "sélectionnés" les candidats à la mort en Belgique : tout semble à la fois si simple et si compliqué !
Au final, me voilà rassurée sur les capacités de Sophie Jomain à écrire dans un univers plus sombre et sans scènes olé-olé. Le ton est touchant, plein d'espoir et en même temps terriblement résigné. J'ai aimé le fait qu'il n'y a pas de jugement dans cette histoire ce qui nous permet de nous mettre à la place de qui nous ressemble plus et donc de mettre notre propre point final.
Une très belle découverte.
[les +] De la compréhension, une absence de jugement, de l'espoir.
[les -] Pas sûr que ce livre reflète réellement la réalité...
Lu dans le cadre de :
Challenge Bookineurs en couleurs #3.8 : GRIS
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